La profondeur de champ
Tout le monde sait qu’une photo c’est net ou c’est flou. Pourtant, à y regarder de plus près, il est extrêmement rare qu’une photo soit totalement nette, d’en haut, à gauche à en bas, à droite. A part dans les paysage et encore, pas toujours.
Dans certains cas, une netteté totale est même désagréable. Par exemple, en photo de portait.
En réalité, en toute rigueur, l’image n’est vraiment nette que pour les objets situés à une certaine distance de l’appareil ; la distance qu’on voit affichée sur la bague de l’objectif au moment de la prise de vue. Tout le reste n’est pas net.
Ce n’est pourtant pas l’impression qu’on a en regardant l’image. Elle nous paraît nette bien en avant et bien en arrière de cette distance et dès qu’on s’en écarte vraiment, alors là, oui, c’est flou. D’autant plus flou qu’on s’éloigne de la distance de mise au point.
Et bien, la plage dans laquelle on considère les choses comme nettes de façon acceptable, c’est à dire entre le premier plan net et le dernier plan net, s’appelle la profondeur de champ. Et c’est une caractéristique essentielle à maîtriser pour faire des photos agréables et dynamiques, pour en mettre en valeur une partie et en occulter d’autres. D’autant que, gavés d’images depuis notre enfance au travers de nos écrans, magazines, affiches, nous avons appris à les “lire” et sommes sensibles au respect de cette grammaire.
Voyons donc les paramètres qui influent sur la profondeur de champ, donc les manettes sur lesquelles on pourra jouer pour accroître ou réduire la profondeur de champ. Pour la contrôler.
L’ouverture du diaphragme
Le diaphragme, ou plutôt son ouverture, vient en tête des paramètres qui agissent sur la profondeur de champ. Non que son influence soit supérieure aux autres mais c’est, si on pose la question à un photographe, le premier levier, et parfois hélas le seul, qu’on entendra évoqué. C’est aussi, il faut bien le reconnaître, le moyen le plus direct, le plus simple et le plus accessible dont on disposera sur le terrain pour contrôler la profondeur de champ.
Toutes choses égales par ailleurs, plus l’ouverture est faible, plus la profondeur de champ est importante. Par exemple, sans toucher à d’autres paramètres, la profondeur de champ pour une ouverture de f/16 est plus étendue que pour une ouverture de f/4.
Rappelons à toutes fins utiles que l’ouverture augmente quand la valeur d’ouverture diminue (f/16 est moins ouvert que f/4).
La distance focale de l’objectif
Parmi les paramètres influents majeurs, la distance focale de l’objectif, souvent appelée simplement focale, tient une bonne place. On l’ignore souvent mais la focale a en effet un impact direct sur la profondeur de champ. A l’heure de l’usage généralisé, pour ne pas dire exclusif, des objectifs à focale variable (les zooms), avoir présent à l’esprit ce fait n’est pas inutile.
Toutes choses égales par ailleurs, plus la focale est courte, plus la profondeur de champ est importante. Par exemple, sans toucher aux autres paramètres, la profondeur de champ pour une focale de 20 mm est plus étendue que pour une focale de 100 mm.
Notons que l’appareil photographique, au cours de son histoire, a toujours tendu vers une plus grande compacité et un moindre coût. La conséquence a été l’adoption de formats de surface sensible toujours plus petits. Aux plaques d’autrefois se sont substitués le format 24×36 puis APS en argentique. Aujourd’hui, à de rares exceptions, les formats numériques sont plus petits ou égaux au format APS. Comme la gamme des objectifs pour un système photographique s’articule autour d’une focale “normale” en gros égale à la diagonale du support, on peut en déduire que la panoplie des objectifs tend vers des focales plus courtes. On peut en tirer tout un tas de conséquences, notamment en ce qui concerne l’évolution historique de la profondeur de champ.
La distance de mise au point
Comme pour les deux paramètres précédents, ouverture et focale, la distance de mise au point a un impact majeur sur la profondeur de champ. On ne s’en rend pas toujours compte faute d’y prêter attention.
Fig. 1 : Echelle de profondeur de champ
Toutes choses égales par ailleurs, plus la distance de mise au point est grande, plus la profondeur de champ est importante. Par exemple, sans toucher aux autres paramètres, la profondeur de champ pour une mise au point à 20 m est plus étendue que pour une mise au point à 1 m.
Précisons tout de suite que l’étendue de la profondeur de champ de part et d’autre de la distance de mise au point n’est pas égale ; la zone de netteté en avant du sujet est moindre que celle en arrière. En conséquence, dans des conditions difficiles (peu de lumière, sujet très proche, image destinée à être fortement agrandie, sujet mobile ou dont la distance est difficile à établir, etc.) on aura intérêt à faire la mise au point légèrement en avant de la partie principale du sujet.
La sensibilité
On pourrait se demander si la sensibilité a ou non une influence sur la profondeur de champ.
Disons-le tout de suite, ce paramètres n’est jamais retenu dans la littérature. Simplement parce qu’il ne fait pas partie des paramètres optiques du problème.
Avant d’aller plus loin, il est important de noter que la limite entre net et flou est subjective. La limite théorique entre ces deux états a été établie en faisant certaines hypothèses telles que la distance de lecture (distance à laquelle on observera la photo qui dépend dans une certaine mesure de la taille de cette photo une fois imprimée), la distance séparant les cellules sensibles de la rétine, etc. Ces hypothèses ont conduit à déclarer qu’un détail plus petit qu’une certaine dimension était net et qu’il ne l’était plus au delà. Cette dimension limite est appelée cercle de confusion. C’est sur cette valeur théorique que sont calculées les tables de profondeur de champ et que sont étalonnées les indications portées sur certains objectifs (Fig. 1).
Que se passe-t-il si les détails les plus fins qu’un support puisse restituer sont plus grands que le cercle de confusion ? Et bien tout est flou. Ou plutôt, on est contraint de considérer que le cercle de confusion est au minimum égal à la valeur du détail le plus fin que le support est en mesure de restituer. Ce qui revient à dire que la profondeur de champ a augmenté.
C’est tiré par les cheveux ? Pourtant, les utilisateurs d’appareils numériques qui poussent leur engin dans les zones de sensibilité les plus élevées disponibles savent la perte de précision qui en résulte.
La qualité optique
Si on admet ce qui vient d’être dit, la qualité optique aussi peut avoir une influence sur la profondeur de champ. A partir du moment où un objectif produit des détails minimaux d’une taille supérieure aux détails les plus fins permis par le support, il devient meneur dans la détermination de la résolution globale du système. Par les mêmes déductions que pour l’impact de la sensibilité on peut considérer qu’il influe sur la profondeur de champ.
Rassurons-nous, il s’agirait alors d’un objectif de piètre qualité. Méfions-nous, il en existe.
La taille du document final
Regardée à la même distance, une photo paraît d’autant plus nette qu’elle est petite. C’est donc que la profondeur de champ diminue quant la taille du document augmente. Cependant, en pratique, on ne regarde pas une image d’un mètre de diagonale à bout de bras. Plus on s’éloigne, plus la photo devient nette. C’est donc que la profondeur de champ augmente avec la distance de lecture.
Y a-t-il une relation linéaire entre la taille de la photo et la distance de lecture ? Certains l’affirment.
De façon pragmatique, je constate que les documents inférieurs à A4 (20 x 30 cm) sont généralement observés en étant entre nos mains, donc à une distance constante (il arrive, mais rarement, qu’un ou deux documents se voient gratifiés d’un cadre ou d’un sous-verre et finissent accrochés au mur). Donc, la taille du document influe sur la profondeur de champ.
Notons aussi qu’un phénomène amplifie cet impact : tous les documents sont traités selon la même filière en utilisant le même support d’impression ou de tirage. Ce support est affublé de limites (taille du détail le plus fin) intrinsèques qui ne varient pas avec la taille de l’image. La taille relative du détail limite est donc plus importante pour un document de petite dimension que pour un grand.
Finissons en remarquant qu’en numérique, les limites sont franches et impossibles à dépasser alors que la filière argentique permet, moyennant des précautions de traitement et le choix des différents produits de la chaîne, d’influer sur cette limite.
Tester la profondeur de champ
Certains appareils, essentiellement pour ne pas dire exclusivement des reflex, sont doté d’un testeur de profondeur de champ. Il s’actionne le plus souvent grâce à un bouton ou un levier ou, sur certains appareils modernes, par le positionnement de la bague de mise en route.
Dans tous les cas, le résultat est que le diaphragme se ferme à sa valeur présélectionnée et on peut voir le résultat dans l’oculaire ou sur l’écran au dos de l’appareil. De cette façon, on peut évaluer la profondeur de champ visuellement, subjectivement sans s’en remettre à des tables de calcul ou aux indications portés sur l’objectif.
Indiquons que pour évaluer la profondeur de champ, l’écran intégré à l’appareil est d’une efficacité plus douteuse sachant qu’il est petit et qu’il ne comporte, comparé au capteur embarqué, qu’un nombre extrêmement limité de pixels. Conséquence, la dimension limite du détail le plus fin est sans commune mesure avec le résultat final.
L’hyperfocale
Pour terminer, signalons ou rappelons un usage intéressant qu’on peut faire de la profondeur de champ.
Si on met au point à l’infini avec un certain objectif, par exemple celui de la Fig. 1, pour une certaine valeur d’ouverture, disons f/22, on sait que la zone de netteté démarrera plus près de nous, disons 7 mètres.
On a dit plus haut que la zone de netteté est plus étendue au delà de la distance de mise au point qu’en deçà. Dans le cas d’une mise au point à l’infini, comme il n’y a rien au delà, ce potentiel est perdu. Si on règle la distance de mise au point sur la distance minimale de la zone de netteté, dans notre cas 7 mètres, on va permettre à des objets plus proches, typiquement 3 mètres 50, d’être nets eux aussi tout en conservant la netteté à l’infini.
Dans les conditions retenues (cet objectif, f/22), 7 mètres est appelée distance hyperfocale.
L’utilisation de la distance hyperfocale est très indiquée en reportage quand on ne veut pas perdre de temps avec la mise au point. On peut même déclencher au jugé sans porter l’appareil au niveau de l’œil en assurant un résultat.
On peut même exacerber le phénomène si le plan utile le plus éloigné et plus proche que l’infini (rue étroite, intérieur…).
En pratique, on place l’indication ∞ en face du repère de fin de zone de netteté sur le corps de l’objectif (quand on a la chance de disposer de ce marquage, sinon, on se débrouille). Dans le cas d’un espace plus confiné, ce n’est plus l’indication ∞ mais la distance maximale possible (il faut un peu avoir le compas dans l’œil) qu’on reportera en face de ce repère.
Précisons que l’hyperfocale, à moins de disposer d’une fonction spéciale sur l’appareil, impose de débrayer l’autofocus.